Aux intersections entre bandes dessinées et limitations physiques

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Aux intersections entre bandes dessinées et limitations physiques

-Mathilde Tremblay, mars 2022-

bandedessinée
Récit muet, personnage au corps dessiné à demi ou gros plan sur les craques d’un trottoir, des bédéistes avec et sans handicap explorent ce qui arrive lorsqu’un des cinq sens est retiré d’une histoire pour laisser place à d’autres manières d’appréhender le monde.

Le son devient superflu

Décrire ce qui ne peut pas être traduit avec des mots, voilà la mission que se donne la bande dessinée muette. Comme son nom l’indique, ce genre narratif est entièrement autonome des mots. Il raconte en dessins. Certains bédéistes élaborent des aventures de centaines de pages sans inclurent une seule bulle de dialogue ou une petite onomatopée. Nommons, par exemple, le succès graphique Un océan d’amour né de la collaboration entre Grégory Panaccione (un grand habitué des récits muets) et Wilfrid Lupano (ironiquement reconnu dans le monde littéraire pour l’originalité de ses dialogues). Ensemble, ils développent l’histoire d’un tout petit marin à lunettes qui se retrouve séparé de son amoureuse après que son bateau ait été piégé dans l’un des filets de pêche d’un navire industriel qui file en direction de Cuba. « J’ai eu envie de raconter de front une histoire d’amour et une fable écologique, et ces deux thèmes ne m’incitaient pas au dialogue », explique Lupano au journal Figaro. Comme quoi certains sujets se comprennent mieux par le silence.

L’environnement devient superflu

De son côté, la bédéiste Georgia Webber accorde, au contraire, beaucoup d’importance aux dialogues et à la communication. Ayant elle-même perdu la voix à cause d’une maladie chronique, elle scénarise son quotidien dans la bande dessinée d’autofiction Dumb. Elle explique que puisque se faire comprendre par les autres représente son plus grand défi de la vie de tous les jours, les cases de dessin de Dumb sont presqu’entièrement dévouées aux dialogues et au langage corporel. La BD se concentre donc un maximum sur les personnes et très peu sur le décor qui les entourent. L’auteure oublie même régulièrement de dessiner les alentours tant c’est un élément secondaire dans sa liste de préoccupations quotidiennes.

Le corps devient superflu

Voir un pied marcher à quelques millimètres plus loin de la jambe à laquelle il serait habituellement attaché n’est pas une surprise lorsqu’on lit une bande dessinée de Vivian Chong. L’auteure est devenue graduellement aveugle après une grave réaction à un médicament. L’anatomie exacte des corps et la précision des formes ne font donc pas partie de sa façon d’appréhender le monde. Dancing After TEN est sa dernière production littéraire parue en 2020. Elle y fait référence à la nécrolyse épidermique toxique (TEN) qui est la maladie ayant entrainé la perte de sa vue. Les paysages et les personnes y sont dessinés de manière abstraite sous l’œil de moins en moins ouvert de Chong, mais les émotions transmises par la BD s’en trouvent encore mieux exprimées.