« Zoom, l’allié des personnes à mobilité réduite », comment le confinement a été une porte ouverte sur le monde pour les personnes ayant un handicap physique

ACTUALITÉ/RÉFLEXION

« Zoom, l’allié des personnes à mobilité réduite », comment le confinement a été une porte ouverte sur le monde pour les personnes ayant un handicap physique

-mai 2021-

Un article écrit par Joëlle Tremblay témoigne de l’impact des alternatives aux rencontres en personne apportées par le confinement. Sylvie Godbout, une membre de Handi-Capable, y explique comment ces nouveaux événements en mode virtuel sont, en fait, de nouvelles opportunités pour elle.

« Zoom, l’allié des personnes à mobilité réduite » par Joëlle Tremblay

Depuis le début de la pandémie, la vie sociale des gens s’est en grande partie déplacée vers l’espace virtuel. Cela a permis aux personnes à mobilité réduite de participer à de nombreuses activités, sans les habituelles contraintes d’accessibilité physique. Plusieurs craignent désormais les conséquences du déconfinement sur leur vie.

« Le monde s’est ouvert à nous! »

C’est ce que déclarent plusieurs personnes handicapées, dont Jessica. Cette jeune mère de famille est atteinte de l’Ataxie de Friedreich, une maladie neuromusculaire qui affecte sa motricité. Ancienne archiviste médicale, Jessica a dû arrêter de travailler très tôt en raison de son handicap. « Trop tôt, précise-t-elle. Je me tournais les pouces, je me demandais à quoi je servais dans la société. » Elle raconte qu’elle avait, depuis longtemps, l’envie de devenir représentante des produits Tupperware. « Mais j’étais pas « game » (je n’osais pas) », admet-elle. À la question pourquoi?, elle répond du tac-au-tac : «Mon handicap. Je ne me voyais pas arriver chez les gens avec mes deux valises pleines de plats, les escaliers, l’hiver, demander aux gens de m’aider. » Puis la pandémie est arrivée, et les activités de l’entreprise ont migré vers Zoom. Contre toute attente, Jessica a pu suivre la formation pour devenir représentante et commencer à faire des démonstrations par visioconférence. Son élocution un peu ralentie par la maladie n’altère en rien son enthousiasme : « Maintenant, je peux tout faire de la maison, j’adore ça! »

Karin Hitselberger, auteure et militante pour les droits des personnes handicapées, explique que « même si des alternatives virtuelles existaient avant la pandémie, elles n’étaient pas largement acceptées. » Elle ajoute que maintenant que les options virtuelles font partie de l’usage, « les opportunités ne sont plus limitées par la géographie. » Anniversaires, cérémonie de graduation, apéros, conférence à l’autre bout du pays, Hitselberger énumère les activités qu’elle a pu faire dans la dernière année, auxquelles il aurait été difficile – voire impossible – de participer sans les applications de réunions virtuelles. Elle se réjouit d’enfin pouvoir « participer à la vraie vie. »

La crise sanitaire force l’innovation

Pour respecter les règles de confinement, de nouvelles façons de travailler, de socialiser, de s’approvisionner, ont été développées. Le télétravail, entre autres, a connu un essor spectaculaire dans la dernière année : selon un sondage Léger, près de 50% des travailleurs du Québec ont dû réorganiser leurs tâches pour travailler de leur domicile. Les personnes à mobilité réduite bénéficient donc d’un meilleur accès, non seulement au marché du travail, mais aussi à une multitude d’activités qui leur étaient inaccessibles avant la pandémie. Selon Vanessa-Anne Paré, conseillère à MÉMO-Qc, un organisme qui œuvre à améliorer l’autonomie et l’inclusion des personnes handicapées, Zoom a permis de surmonter des barrières géographiques, physiques, et a eu, dans certaines situations, un effet égalisateur. « Avec Zoom, souvent, le handicap n’est pas apparent », observe-t-elle.

Sylvie Godbout n’a que de bons mots pour le virage numérique de la dernière année. La femme de 63 ans éprouve d’importants problèmes de mobilité depuis qu’une voiture l’a renversée alors qu’elle avait 17 ans. L’isolement et la solitude, Sylvie Godbout les connaît de fond en comble. « Ça fait 46 ans que j’ai eu mon accident. Donc le confinement, je l’ai vécu, et Zoom n’était pas là. Confinée avec Zoom, c’est le rêve! » Elle raconte avec emballement que grâce à la visioconférence, elle a assisté à des concerts de musique classique, à des conférences d’écrivains, et qu’elle a même « rencontré son idole de jeunesse, Janette Bertrand! »

Moins d’isolement social

Les statistiques pré-pandémiques de l’Office des personnes handicapées du Québec révèlent que 26% des personnes en situation de handicap souffrent d’isolement social. Selon Nathan Spreng, chercheur de l’Institut-hôpital neurologique de Montréal, « l’isolement social et la solitude représentent un risque pour la santé cognitive des individus. » Dans sa récente étude sur les effets de la solitude sur le cerveau, le chercheur explique que le cerveau crée de nouvelles connexions pour compenser l’absence de contacts sociaux. Or, ces connexions peuvent, à long terme, avoir des effets négatifs, et même favoriser l’apparition de la maladie d’Alzheimer. Il soutient que les contacts, même par visioconférence, sont essentiels pour préserver notre santé cérébrale. Il assure qu’il se passe « quelque chose de spécial lorsque l’on voit des visages humains, et que cela nous permet de nous sentir connectés aux autres. »

Dans son article As a disabled person, I’m afraid for the world to go back to normal, Karin Hitselberger explique qu’elle craint le retour à la « normale », c’est-à-dire un retour aux choses telles qu’elles étaient avant la pandémie. « Une normalité qui n’a jamais fonctionné ni pour moi, ni pour des millions d’autres personnes », affirme celle pour qui la vie sociale et professionnelle n’ont jamais été aussi remplies que pendant la pandémie. Hitselberger se désole à l’idée que bientôt la société se déconfinera, délaissera les espaces de rencontres virtuelles, et que cela signifiera un reconfinement pour de nombreuses personnes handicapées. Jessica et Sylvie Godbout sont du même avis : un retour en arrière serait tragique. Elles rêvent, comme Hitselberger, qu’on développe des formules hybrides des événements, pour que tous puissent y accéder. Mais pour Jessica, il n’y a aucun doute : « Je suis convaincue que le virtuel va prendre de plus en plus de place. On ne reviendra pas en arrière, il y a trop d’avantages. »