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Les chroniques de Han-Maison Chapitre 14

Les chroniques de Han-Maison

Chapitre 14

Un garçon s’avance vers moi. Il a les cheveux roux pâle, coupés en brosse semi courte. Juste assez longue pour que quelques mèches tombent sur son front. L’ombre d’une barbe naissante modèle son visage. Il s’adresse à moi en plongeant ses yeux d’un bleu clair dans les miens. C’est Jaime. Le gars avec qui je dois tirer des oiseaux. Lorsqu’il s’avance plus près pour me parler de notre « tâche » commune, l’effluve forte d’un parfum sucré emplit mes narines. Elle sert à dissimuler l’odeur d’un sac urinaire, j’en ai senti assez dans ma vie pour le détecter. Selma observe notre discussion un peu en retrait derrière Jaime. Notre petite séance est interrompue par l’arrivé des autres membres de ma famille. Jaime et Selma partent main dans la main pour les accueillir. Eh oui, je l’ai vu. Main dans la main. Et je confirme du coin de l’œil que Charlie aussi l’a vu.

Ida nous convit à la salle à manger pour le déjeuner. L’ambiance est passable si je compare avec l’accueil glacé de ce matin. Je profite du repas pour apprendre à connaitre un peu Lourenço, l’autre gars qui habite ici. Je l’aime bien, avec ses bras fins et ses jeans tachetés de peinture. Ensuite, vient le temps d’aller tirer des oiseaux. Jaime sort de table et me fait un signe de tête pour que je le suive dans le corridor. Il m’amène dans ce que je présume être sa chambre. Là, il s’assoit sur le pied de son lit et il se met à fouiller dans le bas des tiroirs de sa commode. Il me tend une vieille camisole blanche.

« Pour passer la journée dans la chaleur du Soleil », me dit-il.

Je ne sais pas trop quoi répondre. Je me contente de retirer mon chandail et d’enfiler sa camisole.

« Il faut qu’on aille dans la forêt ».

Okay, je suis Jaime sur le sentier qui mène à la forêt. J’ai plusieurs questions que j’aimerais lui poser. D’abord, est-ce que je devrais avoir peur? Ensuite, à quoi vont-ils ressembler, les oiseaux nucléaires?

À quelques pas derrière la maison, on croise une pancarte. 

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Je ne l’avais jamais remarqué avant… Mon portugais n’est pas très bon (pour ne pas dire inexistant), mais je crois bien que la pancarte est en train de me dire qu’on est dans un genre de parc.

  • Jaime?

  • Quoi mon gars?

  • Les oiseaux sont dans un parc?

  • Non, c’est nous qui sommes dans un parc. On habite dans le Parque Forestal de Monsanto, le Parc Forestier de Monsanto. Tu vis dans l’un des plus grands parcs urbains du monde, déclare-t-il en pointant autour de lui.

Je vois. Alors, candidement, on pensait qu’on était à la campagne. On est plutôt dans un énorme parc en plein cœur de Lisbonne. Mes pensées sont interrompues par un flash de couleur qui passe devant mes yeux.

  • Qu’est-ce que c’était que ça, m’exclamais-je déboussolé.

  • Un oiseau.

Jaime tire sur la fermeture de son sac à dos. Il y plonge la main sans quitter des yeux l’oiseau. Il tient un fusil.

 

 

Les chroniques de Han-Maison Chapitre 13

Les chroniques de Han-Maison

Chapitre 13

Jour 2.

J’ouvre l’œil vers 8h. Le son des burpees de Charlie m’a réveillé. Je relaxe dans mon lit le temps qu’elle finisse ses exercices. Une fois ses habits sports enlevés, on se prépare à descendre. Je ressens un peu d’appréhension. En fait, je me demande comment on va faire pour le déjeuner. Je n’ai pas particulièrement le goût de rencontrer les voix de l’autre soir. Au fond de moi, j’espère que la maison est déjà vide et qu’une note nous attend sur le comptoir pour nous indiquer quoi manger. Ce n’est pas du tout ce qui se produit. Lorsqu’on arrive au premier étage, les quatre nous attendent. Trois d’entre eux (dont Selma) semblent avoir à peu près notre âge. La dame assise sur le fauteuil, elle, vient plutôt des mêmes années que Pit. L’accueil est franchement froid. Au début, le silence envahit la pièce. Il est lourd et nous écrase. Charlie et moi sentons des regards qui nous fixent. Un malaise grandit entre nous. Pendant plusieurs secondes, je me contente de regarder mes pieds.

  • Huhummm.

La dame se racle la gorge. Elle finit par parler :

  • Je me nomme Ida. Comment vous appelez-vous ?

Charlie répond avec toute la politesse dont elle est capable.

  • Bonjour à vous. Je m’appelle Charlie, et voici Émile.

  • Enchantée, Charlie et Émile. Je ne vous cacherais pas que votre arrivée a fait l’objet de plusieurs discussions. Heureusement pour vous, Selma, juste ici, tenait beaucoup à ce que vous restiez près de nous. Je suis d’accord avec sa façon de penser. Mais maintenant, vous allez devoir ouvrir très grand vos oreilles. Il y a deux choses que vous devez retenir si vous voulez rester ici. Primeiro, tout le monde doit contribuer à sa façon. Charlie, nous allons avoir besoin de toi faire le lavage et entretenir le gazon. Notre végétation est rare et précieuse. Émile, toi, tu iras tirer les oiseaux avec Jaime.

  • Tirer des oiseaux avec Jaime ?

Je n’ai aucune idée de ce que cette phrase veut dire. Et pourquoi est-ce que je devrais tirer des oiseaux ?

  • Oui mon grand. De nos jours, les poules ont des dents. Et, s’il y a bien une chose que les oiseaux aiment manger, ce sont les humains. Les ondes radioactives ont eu un bien étrange effet sur eux. Maintenant, laisse-moi poursuivre. Segunda, personne ne doit savoir que vous êtes ici. Il existe un homme. L’impio, dit-elle d’une voix quasiment fantomatique. Il ne possède pas de grande légitimité, mais il s’est approprié le pouvoir à Lisbonne en semant la peur. Il détient, dirait-on, une machine qui permet d’enfermer les radiations nucléaires. Les ondes mortelles seraient relâchées sur les gens qui ne respectent pas les règles qu’il a lui-même créées. Ses victimes mourraient lentement, empoisonnées par le nucléaire. Malheureusement pour vous et pour nous, pas d’intrus, ça fait partie de ses règles.

Dans ma tête, je pense au fait qu’on est arrivés en avion en plein cœur de la ville. On aurait pu faire plus subtil comme arrivée d’intrus. Je garde cependant mes pensées pour moi, de peur qu’Ida nous chasse de la maison. Elle termine son discours sur cette note théâtrale. Comme si ce moment marquait une permission spéciale, les autres résidents de la maison se lèvent pour venir nous voir.

Les chroniques de Han-Maison Chapitre 12

Les chroniques de Han-Maison

Chapitre 12

Je perçois distinctivement quatre voix. Je n’en reconnais qu’une, celle de Selma. Même s’ils ne parlent pas fort, je ressens la colère dans leurs intonations. Ils reprochent à Selma d’avoir laissé entrer cinq inconnus dans la maison. Je ne peux pas vraiment leur en vouloir. Ils parlent d’un homme. L’Impio. Il ne doit pas apprendre que nous sommes là. Selma s’impatiente. Elle demande aux autres depuis quand ils ont perdu leur humanité. Une autre voix féminine s’élève. « Comment oses-tu dire que je suis sans cœur. Moi, qui me suis démenée tous les jours depuis des mois pour vous nourrir. C’est facile de sortir des grands principes quand on a autant de temps libre pour y penser ». Un bruit de chaise qui frotte sur le plancher. Selma sort à grands pas de la salle à manger. Je me colle au mur pour ne pas être vu. La conversation reprend quelques instants plus tard. « Bon, alors qu’est-ce qu’on fait? », demande une voix juvénile. J’entends un soupir. La dame de tout à l’heure reprend : « Selma n’a pas tort. Ils ont besoin de cette maison. On va devoir les accueillir tant qu’on n’a pas de meilleure solution. Mais il va falloir qu’ils contribuent. Et surtout, qu’ils se fassent discrets. ». J’entends encore les chaises grincer. Je me dépêche à monter au troisième avant qu’ils ne sortent de la pièce.

Charlie est déjà dans notre chambre, étendue sur son lit.

  • Tu as enfin trouvé le chemin de la chambre, me dit-elle en fixant le plafond.

  • J’étais en train d’écouter une conversation importante figure toi.

Je suis encore amère de sa sortie devant le monsieur tout à l’heure.

  • Ah oui! Était-ce une conversation entre Selma et toi que tu écoutais avec autant d’attention ?

  • Bon ça suffit. Je sais qu’elle t’intéresse. Ça se voit dans tes yeux, dis-je me m’assoyant sur mon lit. Mais je ne vois pas en quoi ça te donne le droit d’être aussi sèche avec moi. Je veux dire, il faut se calmer, ça fait une journée que tu la connais!

Une ombre traverse Charlie. Lorsqu’elle réplique, il y a une aigreur dans sa voix.

  • Écoute moi bien Émile. Depuis le début de mon secondaire, je rêve d’avoir une petite amie. Ou au moins de fréquenter une fille. Mais non. Je suis une fille, et je suis autiste. Mon secondaire, je l’ai passé à regarder Mad Max avec personne à côté de moi. Maintenant j’ai 18 ans. J’avais une nouvelle chance avec le Cégep et il arrive une foutue fin du monde. Je ne vois plus personne à part vos cinq têtes à longueur de journée. Et voilà, je débarque ici, je parle à Selma et on s’entend super bien. Au moment où j’ai une opportunité, un morveux s’invite. 16 ans, à peine le temps de commencer à s’intéresser à l’amour et déjà tu peux avoir qui tu veux.

 

  • Wo. Pause. Je ne sais pas pour qui tu me prends, mais, si tu n’avais pas remarqué, je suis paralysé de la moitié du corps. Je ne pense pas exactement que j’entre dans la catégorie des gars qui obtiennent tout ce qu’ils veulent, dis-je en montrant mon corps de la main gauche.

 

Le regard de Charlie s’adoucit. Elle me regarde et secoue la tête. Un léger sourire flotte sur les lèvres.

  • Honnêtement, cette fille nous fait faire des choses! répond-t-elle en soupirant.

Un rire nerveux sort malgré moi.

  • Et ça fait moins de 24 heures!

Les chroniques de Han-Maison Chapitre 11

Les chroniques de Han-Maison

Chapitre 11

22h. Je dois aller rejoindre les autres et le monsieur méchant sous le grand arbre. Je me lève, prétend une soudaine envie de marche sous le Soleil et laisse Selma étendue dans l’herbe. Ils sont tous déjà là. Ma famille est assise en cercle, et le monsieur est au centre. Je m’installe à côté de Pit. Il chuchote pour me demander où j’étais passé. Charlie me jette un regard. Le monsieur débute ensuite notre « rencontre ». Il a l’air de bonne humeur. Il nous félicite d’avoir réussi à entrer dans la maison. On dirait qu’il fait semblant qu’on est une équipe. Comme si on n’avait pas été enlevés, menacés de mort, puis forcés de travailler pour lui. Il demande à être informé des faits importants de la journée. Avons-nous un plan? Aurions-nous trouvé des armes ou une faille pour les faire partir?

  • En tous cas, j’ai l’impression qu’Émile pense que Selma est une faille. Il est en mission pour s’en rapprocher.

C’est Charlie qui parle. Elle me regarde avec un sourire, mais son ton est cinglant. Le monsieur me lance un regard intrigué. Je n’aime pas que son attention soit tournée vers moi. Et je ne veux absolument pas que mon lien avec Selma ne soit scruté en termes de développement d’une confiance pour la réussite d’un plan.

  • Excusez-là monsieur, ce n’est rien. Elle est simplement jalouse. Voyez-vous, c’est que Charlie est amoureuse de moi. On essaie de travailler sur son laisser-aller, dis-je en tirant la langue à Charlie.

  • Non, mais pas du tout je …

Le monsieur est déjà passé à autre chose. Il discute avec Pit qui rapporte avoir vu un deuxième résident entrer dans la maison vers 19h. Une fois leur échange fini, le monsieur met fin à notre « réunion ».

Je repars en marchant vers la maison. Ma hanche gauche me fait particulièrement mal en cette fin de soirée. Je ne sais pas si c’est la chaleur qui est la responsable. Le plus souvent, ma douleur n’a pas vraiment de cause. En fait, avec mon hémiplégie, ma hanche est fragile aux luxations. Avant, le déplacement de ma hanche était suivi pas le médecin. Maintenant, tout ce que je peux faire, s’est rester prudent lorsqu’elle me fait mal.

Lorsque je pousse enfin la porte d’entrée de la maison, toute ma famille est déjà au troisième étage. Je me dirige vers la rampe d’accès pour monter me coucher moi aussi. Au moment où je traverse le couloir, j’entends des voix provenant de la salle à manger. Je m’arrête un instant pour écouter.

Les chroniques de Han-Maison Chapitre 10

Les chroniques de Han-Maison

Chapitre 10

Ait l’air détendu Émile. Je m’accote plus profondément dans ma pose à un coude. Je déteste voir quelqu’un arriver de loin et devoir attendre qu’il soit à ma hauteur avant de pouvoir faire autre chose qu’un sourire figé. J’aime mieux faire semblant de ne rien avoir vu. Alors je me concentre fort à fixer le paysage. Elle vient s’installer à côté de moi.

  • Je vois que toi aussi tu aimes t’installer dehors pour observer les étoiles! Dit-elle avec une pointe de rire dans sa voix.

Quel sens de l’humour aiguisé cette fille. J’en comprends que nous devons maintenant être le soir. Je lui lance un demi sourire en expirant.

Elle poursuit :

  • Je blague. N’empêche, elles me manquent les étoiles. Parfois, le soir, je sors dehors et je fixe le ciel. J’essaie de les voir fort fort fort.

Ses paroles me font un pincement au cœur. On a tous beaucoup de choses qui nous manquent depuis que la Terre a arrêté de tourner.

  • Ne t’inquiète pas, elles sont encore là, je peux te le confirmer. Elles sont là tous les jours et tous les soirs dans la partie nuit de la Terre. Et elles sont immenses. Je te garantis que tu n’en auras jamais vu autant. La Lune aussi est de la partie. Elle bouge encore elle, c’est assez rassurant.

Les yeux de la fille semblent perdus quelque part dans l’espace. Elle sourit.

  • Vous venez de la partie nuit de la Terre alors, toi et ton groupe.

  • Oui. Et, bientôt, ça va être vous qui allez vivre dans la nuit. Selon Nancy, le changement va se faire dans un peu moins de deux mois.

Je ne sais plus trop quoi dire après ça. La fille reste à mes côtés. Le silence s’étire.

  • Je peux savoir ton nom? lui demandais-je.

  • Selma.

  • Enchanté Selma. Moi, c’est Émile.

Elle rit.

  • Enchanté toi -même.