Les chroniques de Han-Maison
Chapitre 10
Ait l’air détendu Émile. Je m’accote plus profondément dans ma pose à un coude. Je déteste voir quelqu’un arriver de loin et devoir attendre qu’il soit à ma hauteur avant de pouvoir faire autre chose qu’un sourire figé. J’aime mieux faire semblant de ne rien avoir vu. Alors je me concentre fort à fixer le paysage. Elle vient s’installer à côté de moi.
Quel sens de l’humour aiguisé cette fille. J’en comprends que nous devons maintenant être le soir. Je lui lance un demi sourire en expirant.
Elle poursuit :
-
Je blague. N’empêche, elles me manquent les étoiles. Parfois, le soir, je sors dehors et je fixe le ciel. J’essaie de les voir fort fort fort.
Ses paroles me font un pincement au cœur. On a tous beaucoup de choses qui nous manquent depuis que la Terre a arrêté de tourner.
-
Ne t’inquiète pas, elles sont encore là, je peux te le confirmer. Elles sont là tous les jours et tous les soirs dans la partie nuit de la Terre. Et elles sont immenses. Je te garantis que tu n’en auras jamais vu autant. La Lune aussi est de la partie. Elle bouge encore elle, c’est assez rassurant.
Les yeux de la fille semblent perdus quelque part dans l’espace. Elle sourit.
-
Vous venez de la partie nuit de la Terre alors, toi et ton groupe.
-
Oui. Et, bientôt, ça va être vous qui allez vivre dans la nuit. Selon Nancy, le changement va se faire dans un peu moins de deux mois.
Je ne sais plus trop quoi dire après ça. La fille reste à mes côtés. Le silence s’étire.
Elle rit.
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Les chroniques de Han-Maison
Chapitre 8
Ding dong.
On sonne à la porte de la maison et je suis le premier devant. Pourquoi ? Mon charme peut-être. La porte s’entrouvre une main en sort. Je n’ai le temps d’apercevoir qu’une main basanée et quelques bagues. Une canette avec de grosses lettres formant AEROFIX me pointe. Un jet aérosol en sort et m’asperge de la tête aux pieds. La moitié gauche de mon visage montre clairement que je suis dégoûté. Une fine poudre blanche recouvre mon corps et mes vêtements. J’en ai particulièrement plein les cheveux. J’attends notre hôte de pied ferme. Pas si ferme que ça en fait. Lorsque la porte s’ouvre complètement, une fille apparaît. Elle a de longs cheveux blonds avec de légers reflets bruns. On dirait que l’été s’est incarné en une personne. Et son visage est magnifique. Elle nous accueille d’un sourire craquant avec ses broches. Je me retourne vers ma famille. Peter et Charlie sont aussi soufflés que moi.
Oups elle a parlé.
À ces mots, elle sort dehors et arrose de AEROFIX ma famille. L’ampleur de la situation me rattrape et mon sang ne fait qu’un tour.
-
La ville est contaminée par des ondes radioactives, c’est ça ? dis-je d’une petite voix chevrotante pour bien commencer notre conversation.
-
Attendez, vous n’êtes pas au courant ? demande-t-elle d’un air faussement surpris. La Terre a arrêté de tourner.
-
Oui…
Je ne comprends pas trop où elle veut en venir. Mais Nancy devient excitée. Elle lève la main en faisant des petits « oh » « oh » comme si elle voulait avoir la parole en classe. Elle finit par se lancer.
- Vous êtes une des régions qui a souffert de la diminution du centre gravitationnel de la Terre. L’atmosphère au-dessus de la ville est en train de s’effriter et les ondes plus fortes du Soleil, comme les ondes nucléaires, peuvent maintenant passer.
La fille blonde pointe Nancy.
- Et un point pour la dame qui est très certainement une professeure. La ville est affectée oui, mais pas ici. Alors c’est très important que vous vous désinfectiez avant d’entrer dans la maison. J’en conclue que vous ne venez pas d’ici. Sinon, vous seriez assurément au courant de ce qui se passe. Qu’est-ce que vous amène ?
Elle dit ça en s’accotant sur le cadre de porte, comme pour nous empêcher de passer. Notre explication va devoir être convaincante. Je prends une grande inspiration avant de me lancer.
-
Il y a eu un raz de marée sur l’île où on habitait. Notre maison est complètement détruite et on ne peut pas juste déménager n’importe où. Peter a besoin d’un respirateur le soir et d’un banc de douche. Mamie Martine a besoin d’un lit avec des rampes de sécurité et d’une toilette adaptée à ses vertiges. Charlie a grandement besoin d’une routine qui a tendance à manquer de nos jours. Et, moi, j’ai besoin d’appareils de physiothérapie pour ne pas faire de régression.
Une fois mon explication terminée, le visage de la fille se referme. Elle fronce les sourcils et semble perdue à l’intérieur de sa tête. Cela ne dure qu’un instant. Son fameux sourire éclaire à nouveau son visage et elle nous ouvre le passage.
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Les chroniques de Han-Maison
Chapitre 7
Un autre élément cloche dans la ville.
Je ne parviens pas exactement à saisir quoi, mais c’est comme si l’air était différent. Mamie Martine s’appuie sur moi alors qu’on commence notre marche sur la route principale. À notre gauche, les maisons maintenant vides se dressent, alors qu’à notre droite, on longe le désert. Le monsieur nous fait bifurquer vers une route secondaire. Là, les bâtiments sont recouverts d’énormes plaques de métal. Il y en a sur le toit et sur chacun des murs. Au travers des joints, je sens qu’on nous regarde. Des gens habitent ici. Je me rapproche de Charlie.
-
Qu’est-ce que Mad Max penserait de la situation? Chuchotais-je.
-
Ça ne sent pas bon Émile. Je ne sais pas à quoi servent ces plaques de métal, mais les gens essaient de se protéger de quelque chose. Quelque chose de vraiment, vraiment dangereux.
Un sentiment d’inconfort se dépose au creux de mon ventre. Nous tournons encore à gauche. Cette fois, nous empruntons un petit chemin qui nous éloigne de la ville. Je sens la pression redescendre un peu. Ces regards m’ont mis à cran. L’herbe n’est plus. Elle a été brulée et complètement desséchée. Par contre, les arbres sont encore là. Ils parsèment la route et ils sont tout en fleurs, si je peux le dire ainsi. Les bouts de leurs branches sont remplis de pollen qui s’envole en grosse boules roses dans les airs. Au travers de cette étrange clairière pousse une petite balustrade de roches. Derrière elle, se dresse la maison substitue de Han-Maison. Le monsieur nous fait arrêter à plusieurs mètres de la demeure, sous le couvert d’un grand arbre.
-
Je ne vais pas plus loin, dit-il de sa voix grave. Revenez me voir à 22h, ici, tous les soirs. Je veux garder contact. Je me fous de comment vous allez vous y prendre, mais ma femme emménage dans cette maison d’ici les 30 prochains jours.
À ces mots, il repart sur le chemin que nous avons emprunté plus tôt.
Nous nous regardons. Charlie ouvre la discussion.
Pit enclenche une mutinerie. Mamie Martine, Nancy et moi-même nous offusquons contre les méthodes musclées que Charlie laisse sous-entendre. Pas question de faire de mal à qui que ce soit.
Quelques minutes de plus suffisent à ce qu’elle concocte notre plan. Il s’appuie sur trois phases.
Étape 1 : Leur faire croire que notre maison est détruite et que nous avons absolument besoin d’un refuge adapté temporaire.
Étape 2 : Gagner leur confiance.
Étape 3 ?
Bon, notre excuse pour les faire partir n’est définitivement pas au point, mais il nous reste du temps pour la trouver.
Ding dong.
On sonne à la porte de la maison. Et je suis le premier devant.
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Les chroniques de Han-Maison
Chapitre 6
Ce que je vois sous mes yeux n’a, je crois, jamais été vu dans l’histoire de la Terre. On l’aperçoit très distinctivement. La noirceur presque totale se transforme en une marée de lumière. Je retiens mon souffle. Le changement est trop drastique. Ma vision se teinte de points lumineux et je n’arrive plus à voir. Je ferme mon œil fort, fort, fort. Lorsque je l’ouvre, le Soleil est là. Je ne l’ai pas vu depuis plus de 130 jours. Il est magnifique. Jaune, orange, presque rouge. Énorme. Je crois que c’est le plus beau jour de ma vie. Je me rends compte que j’ai haï ces derniers mois. Mes barrières sont en train de fondre. Je déteste le noir. Je le vois tous les jours dans mon œil droit. Un sentiment grandi au creux de mon ventre et s’élève dans mon cœur. Je ne sais pas ce qui nous attend dans cette aventure, mais j’ai l’impression qu’on va enfin pouvoir vivre.
Deux heures plus tard, l’avion se pose. Le sable se soulève et nous empêche de voir les environs. On se regarde. Personne ne sait ce qu’on doit faire. Notre consternation est interrompue par la porte du commandement de l’avion qui glisse pour s’ouvrir. Le monsieur en sort. Je le vois pour la première fois à travers le hublot. Il ressemble vaguement à ce que j’imaginais. Grand, imposant, avec les cheveux bruns frisés. Ses traits sont grossiers et il a de grosses mains. Je lui donne entre la fin trentaine et le début quarantaine. Je ne sais pas trop ce que Linda lui trouve, mais moi il ne me fait pas une très bonne impression. Comme s’il entendait mes pensées, il tourne sur lui-même et me fixe à travers la vitre. Ses yeux sont d’un vert perçant. C’est peut-être ça qui a conquis Linda. Il se met à monter les escaliers. Il va entrer dans l’habitacle.
« Tout le monde sort! La maison est à trois kilomètres, on va marcher. ».
Il regarde le fauteuil de Pit.
« Ou rouler ».
Je me lève pour aider Mamie à se redresser et sortir. L’âge lui a fait cadeau de troubles de perte d’équilibre et, avec ce voyage, elle doit assurément avoir des vertiges. Au moment de poser le pied à l’extérieur, l’appréhension s’empare de moi. Je regarde autour et je ne reconnais pas… le monde. Nous sommes à l’aéroport de Lisbonne. Cette ville est mondialement reconnue pour être une superbe destination au bord de l’eau. Mais il n’y a pas d’eau. Sa seule trace encore visible est la délimitation des maisons qui s’arrêtent pour marquer l’endroit où la plage commençait. Le reste a été remplacé par un immense étendu vide et sablonneux. Un désert. Un autre élément cloche dans la ville.
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Chapitre 5
Un délai de 30 jours avant de mourir. Mon cœur ne fait qu’un tour. Quoi Peter? Qu’est-ce que tu fais à dire des trucs pareils. Je ne comprends pas ce qui nous arrive.
Je fouille nerveusement avec mon bras autour de moi. Mamie place ma canne dans ma main. Au moins ça. Mon cœur se calme un peu.
Charlie m’explique ce qui s’est passé pendant que je m’étais évanoui. Le monsieur à la voix grave a demandé à ce qu’on sorte. Charlie est apparue de derrière les rochers. Il tenait absolument à nous voir tous les deux, alors elle a dû me trainer hors de la grotte. Il a ensuite dit à Charlie ce qu’il voulait… Han-Maison. Paf, voilà. Sa femme, Linda je crois, a déboulée les escaliers il y a cinq jours, et elle en est ressortie avec les jambes paralysées. C’est bête la vie en. Han-Maison est l’une des rares maisons bien adaptées pour les fauteuils roulants. Tout y est plus bas : comptoirs, éviers, garde-robe, lit, fenêtres, four, etc. Il faut ajouter à ça la présence de rampes d’accès, de larges salles de bain avec bancs en bois pour la douche et même de portes PMR. Les maisons de ce type encore debout n’existent presque plus de nos jours. Alors, évidemment, le monsieur la voulait. Charlie a dit non. À ce moment, il est devenu très agité. Charlie a dit qu’il s’est mis à marcher sans direction. « Non », « non », « non », de plus en plus fort. Puis, il s’est retourné d’un coup et nous a pointé. Et il l’a complètement perdu.
« Je vais tous vous flinguer. Tu m’as entendu. Je vais venir, durant la nuit, avec plus de personnes. Et on va tous vous tuer. Vous ne saurez pas quand, mais bientôt. C’est fini. Je vais avoir ma maison. ». Charlie imite sa voix grave.
Heureusement pour nous, le training Mad Max a pris le dessus sur elle. Elle a négocié une trêve. À ce qu’il parait, il existe une autre maison adaptée, dans la partie jour de la Terre. Là où se trouvait le Portugal. On s’en va faire un voyage exotique. On ne sait pas qui habite la maison, n’y ce qui se passe dans cette région du monde. Mais si on parvient à sécuriser le bâtiment pour le monsieur et sa femme dans les 30 prochains jours, alors il va nous laisser tranquilles. Voilà comment nous nous sommes retrouvés à bord de son avion (le monsieur a des moyens) en direction du Portugal. C’est lui qui pilote actuellement. Il vient avec nous pour s’assurer que nous ne lui faisons pas faux bond. Inutile selon moi. On ne peut pas juste s’enfuir dans la nature comme ça. On a absolument besoin de Han-Maison. Je ne sais même pas comment on va faire pour survivre 30 jours sans elle. Pit a besoin de son respirateur artificiel la nuit. Bordel. Mes pensées sont interrompues par une apparition. L’avion passe la ligne d’ombre. |
ACTUALITÉ/NATURE
Rencontre avec une mystérieuse verdure
-Mathilde Tremblay, octobre 2022-

La langue Abénaquise, traditionnellement parlée par les Premières Nations habitant la région de Sherbrooke, utilise le mot « mskiko » pour faire référence à « tout ce qui pousse » sans être un arbre. La touffe composée de diverses herbes non-identifiées qui pousse sur les bords d’autoroute, les champs abandonnés ou les pelouses mal tondues; c’est à elle que « mskiko » s’adresse.
Il est étonnant de voir qu’en fait une grande majorité des herbes nous sont étrangères. Nous ne pourrions les décrire que sous le nom mskiko, « tout ce qui pousse », sans être en mesure de nommer leur espèce précise.
Il sera donc présenté brièvement une herbe des plus présentes au Québec qui est trop souvent prise pour acquis pour que quelqu’un ne s’arrête et prenne le temps de la connaitre.
Entamons les présentations officielles
Évidemment, le « gazon » qui forme les pelouses vertes entourant la maison est le premier grand oublié des herbes. Quel est son nom? D’où vient-il? Pourquoi avoir choisi cette plante pour couvrir les terrains?
Ce qui est appelé « gazon » est en fait un mélange de plantes graminées appelées fétuques. Ces dernières ont comme propriété de supporter avec excellence la tonte répétitive. Certaines fétuques sont natives du Québec. C’est le cas de la fétuque rouge qui couvre fort probablement de nombreuses pelouses de l’Estrie. Si elle n’était pas tondue, elle aurait un aspect bien différent de la petite tige verte que nous lui connaissons bien. Dans sa deuxième vie, celle où elle pousse jusqu’à pleine croissance, la fétuque rouge mesure de 30 à 50 cm de hauteur. Elle se termine par de petits épis secs qui lui donne une allure similaire au blé.

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ACTUALITÉ/SPORT
L’équipe canadienne de rugby en fauteuil roulant sort 5ème au Championnat mondial de Vejle
-Mathilde Tremblay, octobre 2022-
C’est au Danemark qu’avait lieu le Championnat mondial 2022 de rugby en fauteuil roulant. L’événement rassemblait les meilleurs joueurs de tous les continents qui s’affrontaient pendant les 7 jours que couvrait la semaine du 10 au 16 octobre.
Les hauts et les bas du Canada
L’équipe canadienne était de la partie pour le championnat. Voici un résumé de sa trajectoire qui sera qualifiée de houleuse pour les besoins de l’illustration.
C’est donc après avoir perdu en quart de final contre les États-Unis, mais remporté les deux dernières parties du tournoi que les athlètes canadiens ont obtenu le titre de cinquième au rang mondial.
Toujours en termes de classement, le canadien Zak Madell a été nommé meilleur marqueur du championnat pour les très nombreux points qu’il a su attribuer à son équipe.
Qui est le grand gagnant?
Le match pour la médaille d’or opposant l’Australie aux États-Unis n’a pas été de tout repos pour les Australiens. Ils ont finalement arraché la victoire aux Américains en terminant la partie avec trois points de plus. C’est donc l’Australie qui sort grande gagnante du championnat mondial.
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Les chroniques de Han-Maison
Chapitre 4
Une main passe doucement dans mes cheveux. Elle les peigne vers l’arrière. C’est une main légèrement ridée. Mamie Martine.
Peter.
Nancy.
J’ouvre l’œil. Nancy me regarde avec les deux mains jointes en un petit poing près du cœur. Pit est à sa gauche. Il roule nerveusement son fauteuil de l’avant à l’arrière. Charlie, elle, est assise sur un siège, un peu en retrait.
Mamie remarque que mes deux yeux sont maintenant ouverts.
Des paroles sortent de ma bouche avec un ton rocailleux.
-Je, je, qu’est-ce qui se passe?
Un long silence s’en suit.
C’est le moment que Charlie choisit pour intégrer la conversation.
-
Tu t’es évanoui. Eh oui, glorieux, je sais. Dès que le méchant monsieur s’est mis à parler, tu as levé les feutres. J’ai dû m’occuper de la situation toute seule.
Les souvenirs remontent. Le side-by-sides gris, les rochers, la voix grave. J’en déduis que Charlie nous a sortis du pétrin. Pourtant, je suis dans un lieu inconnu. Mon corps est étendu dans une mince allée qui sépare deux rangées de sièges. Et le plancher tremble sous mon corps.
Mon regard est accusateur.
Pit éclate d’un rire sans dents.
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Les chroniques de Han-Maison
Chapitre 3
Charlie se met en marche vers le premier étage. Encore tout ensommeillé, je la suis. Je traine mes petits pieds dans le long corridor en tapis gris qui mène aux chambres de Martine, Nancy et Pit tout au bout. Charlie pousse la porte qui donne accès aux escaliers et la retient pour moi. C’est vraiment une gentille personne. Une fois arrivés dans le hall d’entrée, on enfile nos combinaisons en fourrure de lièvre. Elles sont toutes chaudes. C’est Martine, la mamie adoptive de Han-Maison, qui les a fabriqués. Sans cette protection, nous ne survivrions surement pas longtemps à la température extérieure.
Une fois que nos corps sont bien couverts, Charlie ouvre la porte. Paf, -50 °C. Réveillé d’un coup. Et le noir est total. Jusqu’à ce que mes yeux s’habituent en fait. Les étoiles et la Lune permettent de découvrir des silhouettes. Celles des arbres qui composent la forêt à gauche de Han-Maison. Celles aussi des énormes roches qui bordent le fleuve. La mince neige craque sous nos pas alors que nous marchons en direction de l’eau. Avant, l’Île aux lièvres était verdoyante et remplie de lièvres. Je n’en ai pas vu un depuis plus de trois mois. J’ai bien peur que mamie Martine y soit pour quelque chose. Le courant est assez fort ce matin sous la glace du fleuve, mais nous n’avons pas le luxe de rester près de la berge. Les poissons se trouvent en profondeur, là où ils ne se sont pas transformés en popsicles. Je prépare la « ligne ». Je la mets entre guillemets parce que nous n’avons pas vraiment de canne à pêche. C’est plutôt un long bout de fil de mamie Martine auquel on a accroché un poids et un hameçon sculpté dans le bois. Je lance donc la « ligne » à l’eau.
À peine ai-je le temps de m’installer confortablement pour attendre que le bruit d’un moteur lancé à pleine vitesse se fait entendre. Un side-by-sides d’un gris reluisant surgit d’une baie. De grosses chenilles lui permettent de se propulser sur le fleuve sans trop de danger. Il est endommagé à plusieurs endroits, mais ce devait être un très beau véhicule avant. Il avance dans notre direction. Définitivement. Je crois bien que je vais vivre l’expérience. On a de la visite. Charlie pousse un petit cri. De joie? Elle fouille dans son sac pour sortir ce qui ressemble à un petit couteau de poche. Elle se prépare pour un combat au corps-à-corps ou je ne sais quoi. Je lui donne un coup avec ma canne de marche pour tenter de lui rappeler qu’on est dans une situation de « s’enfuir à toutes jambes » et pas en train de recevoir un cadeau de Noël. Je pars ensuite en boitant à toute vitesse vers le couvert des roches près de la berge. Charlie me regarde partir en levant les mains dans les airs en signe d’incompréhension. Elle me retrouve sans effort dans un trou entre deux roches.
D’accord, j’ajoute un adjectif à ce que j’ai dit plus tôt ce matin. Charlie est une personne vraiment gentille et terrorisante.
-
Charlie, je ne sais pas ce qu’ils viennent faire, mais IL NE FAUT PAS les croiser. On se cache, ils repartent, et on continu notre journée, chuchotais-je avec le souffle court.
Une voix grave se fait entendre.
Merde. |
Les chroniques de Han-Maison
Chapitre 1
La première journée de ma vie ne fut pas facile.
La pièce était froide. Blanche, avec un petit lit dans le coin. Le fameux rideau bleu de l’hôpital gardait les événements en cours loin du monde extérieur. Sur le petit lit, ma mère se battait pour sa vie et pour la mienne. Ses mains douces s’accrochaient aux couvertures alors qu’elle tentait de contrôler son souffle pour mieux forcer. Huit heures plus tard, je suis sorti triomphalement. Malheureusement, la victoire fut de courte durée. Lorsqu’elle m’a pris dans ses bras, je l’ai gratifiée de mon plus beau sourire. Ses yeux bruns se sont troublés. Mon visage ne bougeait que d’un seul côté. Hématome sous-dural.
La 5840e journée ne fut pas facile non plus.
Maman était partie à la boulangerie pour m’acheter un gâteau de fête. Je dinais dans l’aire commune de la résidence.
C’était Peter, le plus vieux résident de Han-Maison. J’y vivais avec ma mère pour qu’elle n’ait pas à acheter le matériel adapté dont j’ai besoin. Peter gardait des tonnes de Jos Louis dans son appartement.
Il avait ri en me donnant une bonne tape dans le dos comme il sait le faire.
Il n’a jamais eu le temps de remettre son stock de Jos Louis à mille. La Terre a arrêté de tourner. Littéralement. Imaginez, une boule de 5,970 quadrillons de kgkg en rotation à environ 1670 km/h qui s’arrête de tourner sur elle-même d’un coup. Par effet d’inertie, Tout a été projeté vers l’est. Voitures, maisons, humains. Même les océans. Han-Maison est passée de Saint-Siméon à ce qui s’appelait l’Ile aux Lièvres à l’époque. Une grande partie de l’immeuble a été détruit, mais les deux premiers étages sont restés en bon état. Assez pour que les rescapés de Han-Maison puissent y rester. Peter, Nancy, Martine, Charlie et moi y survivons depuis plus de 4 mois. Et quand je dis survivre, je fais référence au sens littéral du terme. Nous sommes plongés dans une nuit éternelle. Selon les calculs de Nancy (elle était prof de sciences au secondaire, mais c’est une passionnée de la physique), nous devrions passer à une période d’ensoleillement continu d’ici deux mois. C’est une question de rotation de la Terre autour du Soleil. Pas une question de rotation de la Terre sur elle-même. Ces temps-là sont finis. Les températures avoisinent les -50 °C. Au même moment, le champ magnétique de la Terre s’évanouit tranquillement, laissant certaines zones marquées par des radiations mortelles. Je ne dis pas que c’est la fin du monde, mais je ne sais plus ce qu’est le monde. |
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